Ce matin, Google présentait à la presse le Lab de son institut culturel, sis dans les locaux de son siège parisien, rue de Londres. J’y étais grâce à l’aimable invitation de leur service de presse. J’écris ces lignes peu après. (On m’a donné un dossier de presse mais vous me connaissez, je suis bien loin de me baser sur lui pour écrire mon billet.)
Je ne rentrerai pas dans les questions politiques qui accompagnent l’inauguration de ce centre culturel : boycott de l’évènement par la ministre de la culture, discussions fiscales entre l’état et Google… Les représentants de l’Institut Culturel Google ce matin n’ont pas mentionné de business model, ni d’accès payant aux services que l’Institut va proposer, rappelant que la mission de Google est de rendre accessible l’information à tous.
Le projet étant financé, concentrons-nous donc sur ce qui va exister, la forme que cela va prendre et le sens que cela pourra avoir.
Vous connaissiez le Google Art Project, qui avait rassemblé autour de lui des institutions de par le monde, numérisé une partie de ses salles et de ses collections dont certaines oeuvres en haute définition. Le château de Versailles comptait notamment parmi les premiers partenaires parisiens du projet, d’autres étaient moins enthousiastes ; on reprochait alors au géant de l’information son approche axée sur la prouesse technologique plus que sur la pédagogie ou les contenus. On avait affaire à quelque chose de globalement unidirectionnel, la seule liberté étant, pour les internautes, celle de se constituer des portfolios virtuels. Puis, on n’en a plus trop parlé, me semble-t-il.
Première annonce : aujourd’hui Art Project se voit rejoint par des « Evènements historiques » et des « World Wonders », et vous retrouverez tous les trois sur le site de l’Institut Culturel Google.
Mais ce serait bien insuffisant de s’arrêter là. A la réflexion, c’est sûrement cet aspect centralisé et unidirectionnel qui bloquait. On sentait bien qu’aujourd’hui ce n’est plus vraiment comme ça que les choses peuvent marcher sur le web, mais qu’il faut bien plutôt ouvrir au maximum la possibilité de publier. Et que les meilleurs sortent de la masse.
Deuxième annonce : dès aujourd’hui l’Institut Culturel Google a donc dépassé l’unidirectionnel en ouvrant deux espaces : l’un physique, le Lab, l’autre numérique, Google Open Gallery. Juste en sortant de la présentation et sans avoir même un premier regard rétrospectif il est encore tôt pour se prononcer mais hasardons quelques « plus » et quelques « moins ».
Le Lab de l’Institut Culturel Google
Citons pour une fois le dossier de presse : « Lieu de rencontres et de création en plein coeur de Paris, au sein du siège français de Google, cet espace de 340 m2 a vocation à encourager une collaboration étroite entre les mondes de la technologie et de la culture. »
Objectif du lieu : être un espace de débat entre Google et les institutions culturelles qui pourraient être curieuses de ce que Google peut leur proposer, et aussi justement un espace permettant de le montrer et de débattre, construire, entre ingénieurs et représentants des institutions. (Lâchons crûment les termes, on se connaît bien et on connaît bien la communauté, chacun a des arguments à faire valoir.)
Le + :
Le Lab est dirigé par Laurent Gaveau, qui possède à la fois la culture artistique et la pratique du numérique. Ancien du Château de Versailles, il y a fait un excellent travail de rapprochement en mettant la technologie au service de ce qui était caché et ne demandait qu’à être montré avec passion, sans tomber dans l’ambiance techno-push que j’exècre.
Le – :
Ce n’est pas nécessairement un moins mais l’occasion d’alerter sur un sujet qui va bien plus loin que cette inauguration.
Quand j’ai visité « l’atelier du Lab », j’ai eu peur qu’on me téléporte dans tout ce qui peut me poser problème avec les technologies numériques dans la culture. Je suis tombé nez à nez avec une imprimante 3D (cet objet marche très bien, il me donne des boutons) et des tas d’inventions qui criaient l’innovation. J’ai cherché des références, des rayonnages d’archives, un héritage visible du savoir accumulé depuis des siècles pour montrer l’art.
Je veux juste, en tant qu’ingénieur, me permettre un message à mes confrères de tous horizons : la technique, l’ingénierie ne constituent pas un blanc-seing qui nous dispenserait de nous acculturer sur notre passé avant de pontifier ici ou là, même en prétextant une « révolution ». Restons toujours humbles.
Ma conclusion, c’est que le Lab est positionné sur la très mince cime de la technologie numérique pour la culture, qui fera des merveilles si elle est utilisée avec sagesse, et sonnera comme un délire de geek et sera bien peu intégrable dans les usages culturels sinon. Les discussions seront âpres, on aura fort fort besoin du pragmatisme de Laurent Gaveau.
Citons encore le dossier de presse : « Google Open Gallery est un ensemble de technologies et d’outils puissants mis à disposition d’artistes et du secteur culturel pour leur permettre de rendre leurs oeuvres accessibles à tous les internautes. Les technologies innovantes plébiscitées par les utilisateurs de la plateforme de l’Institut Culturel de Google sont à présent proposées gratuitement à tout créateur, artiste, archiviste ou historien qui souhaite créer sur son propre site web une expérience immersive à destination du plus grand nombre. »
Comme de coutume avec les outils Google qui se lancent, celui-ci n’est pour le moment disponible que sur invitation, puis sera ouvert à tous. J’ai reçu une invitation, je vais travailler à une démo pour faire le tour de l’outil.
Le + :
Open Gallery met à disposition gratuitement la possibilité pour tous les artistes de montrer leurs créations bien sûr, mais aussi donne une interface simple pour permettre aux petites et grandes galeries, petits et grands musées, aux enseignants, aux médiateurs, de construire des expositions virtuelles, des supports, des parcours, avec des textes, sons, vidéos, de l’imagerie Street View. On peut imaginer toutes sortes d’applications de la tablette au site web.
Vraiment, je n’ai pas encore testé mais je suis assez optimiste et enthousiaste, j’aimerais que ça puisse servir à faire connaître des collections et lieux trop peu connus.
Le – :
Forcément, puisque l’utilisation de cette interface est simple, elle est peu personnalisable, et au-delà du changement de la forme générale, des couleurs et polices, peu d’autres libertés seront possibles.
En même temps, depuis des dizaines d’années vous vous promenez dans beaucoup de galeries et salons, voire expos de musées qui ne sont rien d’autre que des white cubes, donc ce n’est finalement pas si grave.
En résumé
En résumé, j’étais sceptique face à l’ancien Art Project mais je veux croire à ces nouveautés qui créent à la fois un champ d’expression et un lieu pérenne d’échange, de débat sur la relation entre technologie et culture. Si Google veut monter un think/do tank sur celle-ci, je postule !
Google continue de se positionner en accompagnateur, fournisseur, outil de recherche bien sûr mais aussi de publication des informations du monde. Il donne à tous des outils pour publier, structurer, partager de la connaissance. En tant qu’outils ils ne sont ni positifs ni négatifs, il auront la valeur de ce qu’on en fera si l’on sait s’en saisir.
(Photographies ©Thomas Deron)
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