Sur l’ouverture du Louvre-Lens

Dans ce plat pays, on aurait pu croire que le luxe c’était la hauteur. Au contraire, le Louvre-Lens est indiscernable : un vaste plain-pied gris métal, dont on aime à nous rappeler que « lorsqu’il fait gris, on ne le voit presque pas ». Entrons.

Bienvenue à l’aéroport de Lens, pourraient dire les hauts-parleurs qui intiment aux visiteurs de ne pas toucher les oeuvres. On entre dans un hall vitré avec des îlots de verre, la boutique étant le premier après le portique de sécurité, avant même l’accueil. Ce hall central est entouré des locaux, eux aussi de verre et aluminium, qui hébergent la Galerie du Temps et les expositions temporaires. Ne sommes-nous pas sortis de la logique fin XXe qui voulait que la modernité soit synonyme de froideur métallique ?

Mais soit, ne nous acharnons pas sur la forme et intéressons-nous au projet, à la fois dans sa médiation et ses collections et expositions. Dans cet ordre, puisque c’est ainsi qu’il m’a été présenté lors d’une visite blogueurs le 12 décembre 2012, jour de l’ouverture publique du musée.

D’abord, notons que la communication du musée a bien retenu la leçon à la mode, qui consiste à dédramatiser le musée, sans pour autant directement tomber dans l’excès du centre de loisirs.

Tout l’enjeu du Louvre-Lens est de rompre avec l’image du musée « mausolée », mais au contraire de faire comprendre que le Louvre est non seulement une source insondable et vibrante de questionnements, de découvertes, de formes plurielles de lecture du monde et des œuvres de l’humanité, tout autant qu’un lieu de vie où s’exercent une très large palette de métiers, de savoir-faire rares et où tout un chacun, simple amateur, visiteur de passage, expert, professionnel, parents, enfants, passeurs, peut trouver satisfaction à son désir d’apprendre ou tout simplement prendre du plaisir.

Une information sur la médiathèque, dans le Centre de Ressources, m’étonne :

La seconde bulle, qui accueille la médiathèque et ses nombreuses ressources, propose aux visiteurs d’approfondir leurs premières découvertes ou de mener à bien leurs recherches. […] Dans l’espace immersif de la seconde bulle, le visiteur se trouve plongé au cœur des œuvres grâce à un dispositif de projection d’images en très grand format et en très haute définition. Chaque œuvre est décryptée en présence d’un médiateur sous différents angles aussi bien plastiques que symboliques (analyse iconographique), mais aussi techniques (par le biais de l’imagerie scientifique) et archéologiques (recontextualisation en 3D de l’œuvre dans son site d’origine).

Un médiateur à disposition pour analyser en profondeur des oeuvres sur tous ces plans, c’est une proposition qui semble demander un énorme travail. Ce dispositif est-il vraiment accessible tout le temps, sans rendez-vous, si oui pour combien de personnes ? Et pour combien d’oeuvres ?

Au sous-sol :

Le Centre de Ressources dispose également de 400 m² dédiés à la formation, à la rencontre avec les professionnels des musées et à la découverte de l’histoire de l’art. Cette dimension professionnelle dédiée aux enseignants, aux chercheurs ainsi qu’aux professionnels de la médiation est un atout majeur pour le Louvre-Lens qui escompte ainsi proposer une véritable plateforme d’expérimentation et de travail aux acteurs qui font les musées d’aujourd’hui.

Dédié signifie-t-il bien réservé, toujours aux « professionnels » ? Le 2.0, synonyme de partage social et/ou de création par les utilisateurs, serait KO en un seul round. Ca ne ferait pas de mal de s’intéresser aux idées que développe Bernard Stiegler sur la renaissance de la figure de l’amateur à l’ère du numérique : nommément, un blogueur/étudiant/amateur pourrait-il accéder à cette « plateforme » ?

Au sous-sol, on trouve également l’Espace Découverte, destiné à faire comprendre ce qu’est un musée et comment il fonctionne, au travers de ses différents métiers, interviews et dispositifs tactiles à l’appui. Beaucoup de technologie donc au service d’un propos intéressant. Mais sera-t-il renouvelé ou restera-t-il en l’état ? Sera-t-il animé par une programmation de conférences associées ? Comme il se trouve au sous-sol, hors du chemin des visiteurs et de la préoccupation initiale de visite, qu’est-ce qui les poussera à s’y rendre ?

On notera que le Louvre Lens distribue gratuitement (bon point) à tous les visiteurs qui le demandent son guide multimedia : un smartphone spécialisé qui permet de se déplacer en 3D dans la galerie du Temps, de trouver plus d’informations sur les oeuvres. Les visiteurs peuvent, s’ils ajoutent via ce dispositif des oeuvres à leurs « favoris », retrouver toutes les informations les concernant sur le site du musée, en utilisant leur billet d’entrée comme sésame.

Le Louvre Lens, pour quoi, pour qui ?

On a beaucoup lu que le projet de Louvre II devait atterrir dans une zone « sinistrée ». Wikipedia précise que « plus de 20 % des actifs sont au chômage ou sous-employés, et les indicateurs sociaux et sanitaires sont très négatifs », et la presse ne manque pas d’appuyer sur le thème du sauvetage d’une région en péril. Cette insistance à dire qu’on va apporter la Culture au Pas-de-Calais me gêne, et si j’étais lensois je pense même qu’elle m’agacerait. Que me propose-t-on pour sauver la culture dans ma région ? Quelques oeuvres du musée du Louvre de Paris ? Un musée allégé, avec des oeuvres de seconde zone et des textes, cartels simplifiés ? C’est exactement ce que le Louvre-Lens ne doit pas être. Et si une identité doit être trouvée et partagée, c’est une identité propre et non une version atténuée et satellite. C’est un peu de cette définition d’une identité que la Galerie du Temps, principal élément de la communication du musée, apporte et malmène à la fois.

La Galerie du Temps et le Temps à l’oeuvre

C’est à la fois une belle surprise et une déception. Parcourir la Galerie du Temps c’est traverser un aperçu de l’histoire de l’art en une seule salle de 120 mètres de long, c’est une bonne introduction. Mieux encore, répartir les oeuvres sur la gauche et la droite du visiteur pour mettre face à face, donc à la même époque, Grèce et Egypte ou arts européens et asiatiques, c’est la source de nombreuses comparaisons et de va-et-vients qui engagent le visiteur.

Hélas, je termine ce parcours déçu : il est trop facile de le traverser rapidement, la comparaison des oeuvres d’occident et d’orient n’est pas aidée par des textes dédiés à la susciter. Les quelques textes présents, brefs, clairs et sur lesquels il n’y a rien à redire, se contentent de replacer géographiquement et historiquement chaque groupe d’oeuvres. Autre déception : la Galerie du Temps se termine par La Liberté guidant le Peuple de Delacroix, placée en point final et central de cette histoire de l’art. Certes chef d’oeuvre du romantisme, certes symbole politique, mais point final ? Je ne suis pas sûr que sa place soit celle-ci. Pauvre Delacroix, au Louvre I sa Liberté était empêchée par tous les chefs d’oeuvre qui la précédaient, l’entouraient et la suivaient, au Louvre II elle est injustement placée seule comme fin. Mais pourtant on voit poindre là ce que peut faire le Louvre-Lens que ne peut plus faire le Louvre-Paris, ou plus si facilement : prendre la place et le temps de montrer sa collection permanente.

Par souci d’exhaustivité, je dois mentionner l’exposition Le Temps à l’oeuvre qui démarre là où se termine la Galerie du Temps. Celle-ci, je cite, « tente de définir de façon pédagogique ce qu’est le temps par le biais de l’art ». Hélas, les textes semblent écrits pour des enfants mais sont pourtant nettement adressés à tous les visiteurs, ce qui procure une sensation étrange et désagréable. On continue donc la visite sans lire mais en se contentant des oeuvres. Rien n’empêche réellement d’en sortir rapidement, aucun parcours n’étant défini, mais seulement des îlots séparés. (Toujours des ilôts, je ne supporte plus les îlots dans les expositions, c’est trop facile de faire des îlots sans articuler un propos !) On se dépêche de partir visiter l’exposition temporaire, de l’autre côté du musée.

L’exposition Renaissance

Voilà un bon moment. Un thème parfait pour ouvrir un musée, même. On n’est pas aussi simplificateur que ce que propose la Galerie du Temps, on n’est pas aussi élitiste que si l’on consacrait une exposition à un artiste en particulier dans cette période. Près de l’entrée de l’exposition, une frise retrace à la fois les limites de cette période, les faits marquants de son histoire et les oeuvres importantes qui sont créées pendant celle-ci. Puis l’exposition se déroule harmonieusement avec un accrochage intelligent, des textes qui éclaircissent sans être rébarbatifs sur un nombre de salles raisonnable. Un excellent moment passé dans le musée, qui justifie à lui seul le trajet. C’est exactement, pour moi, ce que l’on peut vouloir venir chercher hors du Louvre-Paris, en plus du Louvre-Paris.

Pour finir, et quelques pistes

Je reste déçu par l’architecture des lieux. C’est dommage, dommage de ne pas avoir offert aux Lensois un monument majestueux, duquel il serait plus facile d’être fier. Mais disons que cela relève des goûts de chacun.

Déçu également par la profusion de grands termes dans le discours de communication, sans qu’on puisse identifier l’identité et la stratégie de médiation du Louvre-Lens. Pour moi, l’identité du Louvre Lens le placerait en complémentarité du Louvre parisien, renouvelant à chaque exposition temporaire la nécessité de s’y rendre : être le lieu où le Louvre peut prendre la place de remettre en scène des époques ou des artistes, hors de la profusion écrasante de chefs d’oeuvres de ses galeries. Et concernant le musée comme lieu de vie du XXIe siècle, si je devais donner un conseil, c’est justement de rendre vivants ces grands espaces vides du hall en aménageant des lieux ouverts et confortables de coworking, avec, par pitié, un accès public et gratuit à Internet via wifi ! Voilà quelque chose d’attendu, qui constitue un vrai parti pris et deviendrait même un exemple.

Enfin, et puisque c’est ce qui reste le plus important, une recommandation pour tous mes lecteurs, aller se faire son opinion personnelle en visitant le Louvre-Lens, et ne pas rater l’excellente exposition Renaissance.

Crédits photo :
Photos de l’extérieur et de l’intérieur du musée : co – auteurs du Musée du Louvre-Lens : © SANAA / Kazuyo Sejima et Ryue Nishizawa – IMREY CULBERT / Celia Imrey et Tim Culbert – MOSBACH PAYSAGISTE / Catherine Mosbach ; Photographie © Iwan Baan
Photo de la Galerie du Temps : co – auteurs du Musée du Louvre-Lens : © SANAA / Kazuyo Sejima et Ryue Nishizawa – IMREY CULBERT / Celia Imrey et Tim Culbert – MOSBACH PAYSAGISTE / Catherine Mosbach ; Muséographe : Studio Adrien Gardère
Image de l’exposition Renaissance, portrait d’Erasme par Albrecht Dürer : © RMN (Musée du Louvre) / Tony Querrec

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