Du 26 novembre 2014 au 27 avril 2015, après son passage au Whitney Museum de New York et avant de se poser au Guggenheim Bilbao, la rétrospective de l’œuvre de Jeff Koons fera étape au Centre Pompidou. Ce sera la première rétrospective de son travail en Europe de cet artiste qui fait beaucoup parler. En attendant de visiter l’exposition, on peut déjà s’interroger sur l’artiste et sa carrière…
Permettez-moi de commencer par les origines. Le père de Jeff Koons était vendeur de meubles, décorateur d’intérieur. Le petit Koons a donc grandi au coeur de la fabrique de la culture pop de la société post-industrielle. L’agencement du salon ou de la cuisine dans la vitrine du magasin devient idéal de vie. L’objet quotidien peut être élevé au rang d’objet culte (d’objet de culte ?) par la publicité. C’est cette culture qui vient peut-être, pour un grand public, pour une massive classe populaire, prendre la place de La culture. C’est elle que j’appellerai culture pop… et je fais l’hypothèse que tout au long de son oeuvre, Jeff Koons n’aura rien fait d’autre que vouloir donner à cette culture un statut. Ce qui sera laissé à votre sagacité est la question : cette volonté est-elle une conviction ou une posture, a-t-elle été l’une avant de laisser place à l’autre ? Ce qu’on essaiera de savoir, c’est : Jeff Koons a-t-il « réussi » ?
Koons, à ses débuts, a résolument une démarche d’artiste : il aborde l’entreprise de réification des objets de culture pop sous l’influence d’artistes qu’il admire et en particulier de Marcel Duchamp. A l’instar de l’inventeur du ready-made, il élève des objets au rang d’oeuvre sans intervenir sur eux… mais il choisit des objets « kitsch », des objets qui sont déjà le fruit d’une invention esthétique mais à destination du divertissement à grande échelle. C’est Inflatables. Puis peu après ce sont les objets nouveaux et rendus désirables par la publicité qui sont élevés au rang d’oeuvre dans The New. Ainsi les aspirateurs présentés seuls sous vitrine.
Et très vite, « ça » fonctionne. Ca : soit un collectionneur est touché par la démarche de Koons et le fait connaître et acheter… soit un autre collectionneur est visionnaire et sent que cette provocation a toutes les chances d’attirer suffisamment de bruit, suffisamment de questions, suffisamment d’incompréhension pour le propulser très haut. Ces deux collectionneurs sont peut-être une seule et même personne…
Jeff Koons se trouve alors pris entre ses identités : artiste, commerçant. Peut-il, doit-il choisir ? Les deux doivent-ils mutuellement s’exclure ? Koons a-t-il choisi ? Toujours est-il que dans la suite de sa carrière il ne rompt pas avec ce qui l’a fait connaître. S’il diversifie les formes de son geste de sacralisation de la culture pop, voire touche à la désacralisation des figures de ce que d’aucuns appellent la « culture cultivée », il ne remet pas en question sa démarche. Nie tout le second degré qu’on lui prête.
Si pendant 35 ans le geste artistique de Koons n’a jamais eu d’autre but que de valoriser la culture pop, s’il a fait pendant toutes ces années tout ce qu’il ne fallait pas faire, ou justement tout ce qu’il fallait faire pour s’attirer les foudres de la critique du « milieu » de l’art (jusque dans son apparence lisse et à l’uniforme de représentant de commerce qui le rendent insaisissable comme provocateur ou comme symbole populaire), a-t-il réussi ? Non pas matériellement, vous l’aurez compris… a-t-il réussi à donner un statut à la culture de masse, emmené avec lui toute une classe de la société dans une reconnaissance ?
Bien sûr, il est impossible de trancher cette question, l’oeuvre de Koons a réussi à s’en échapper. Ses objets du commun, qu’il a muséifiés, sont devenus des phénomènes de galeries, de pages finance des journaux culturels ou de pages culture des magazines financiers, de démonstration de richesse entre puissants… mais ont échappé à la culture qui les a fait naître sans lui donner une grandeur.
Et pourtant. Pourtant, d’une certaine manière, en devenant un sommet d’une culture du coût et non plus de la valeur, Koons a marqué, et la culture pop s’est réapproprié les Koons : Conforama vend ce qui ressemble à un Balloon Dog. Né de baudruche pratiquement sans valeur, devenu sculpture en inox, record historique du prix de vente d’une oeuvre du vivant d’un artiste, je peux acheter une sculpture en céramique qui en est fortement inspirée (lisez le descriptif, c’est « très tendance », « coloré » et « DECORATIF » !) pour 9,99 €.
Retour vers la culture pop il y a donc. Ou plutôt, contribution. Aujourd’hui, la rétrospective Koons organise la confrontation du grand public et de celui qui s’est nourri de ses divertissements, de ses fantasmes, de ses idoles. Comment réagira la culture pop d’aujourd’hui devant le phénomène du marché de l’art ? Au Whitney Museum qui héberge la rétrospective avant le Centre Pompidou, on a… invité les visiteurs à poster sur Instagram leurs selfies devant les oeuvres.
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