Compte-rendu de la Carte blanche à Jean-Max Colard : l’Art comme science humaine, le vendredi 15 janvier 2010 à l’auditorium du Grand Palais
Participaient à cette rencontre, Jean-Max Colard, critique d’art réputé (Inrockuptibles, Artforum, France Culture), Arlette Farge, CNRS-EHESS, spécialiste du XVIIIème siècle, Philippe Artières, CNRS, historien spécialiste des écritures ordinaires et président du centre Michel Foucault, et François Cusset, CNRS, historien des idées et professeur notamment à Sciences Po Paris.
En guise d’introduction, Jean-Max Colard soulève trois liens de l’œuvre de Christian Boltanski avec les sciences humaines. D’abord, par sa proximité avec le milieu des penseurs, de la sociologie, en la personne de son propre frère, Luc Boltanski, mais aussi dans le nom même de l’installation actuellement présentée au Grand Palais, « Personnes », qui porte l’attention vers la petite mémoire, les vies minuscules et anonymes, leurs battements de cœur, le « bruit de dessous l’Histoire » de Michel Foucault.. Enfin, et c’est un sujet qui reviendra régulièrement dans la discussion des intervenants historiens, l’œuvre de Boltanski montre un fort goût de l’archive, et elle est fortement ancrée par ses thèmes dans les sciences humaines et les archives : « Inventaire du quotidien », « La Réserve », « Vitrine de références », « Les archives du cœur », …
Arlette Farge intervient sur cette sensibilité face aux archives, et donne son regard d’historienne. Travailler sur les archives, c’est s’intéresser à la trace des anonymes, non pas par adoration de l’archive, mais pour réparer le non-dit de l’Histoire, reprendre ces vies minuscules de ceux qui n’ont pas laissé de traces parce qu’ils n’ont pas écrit, voire ne pouvaient pas écrire. Mais pour autant, l’archive ne devrait pas être l’objet d’une mise en scène, d’une exposition, mais plutôt être travaillée comme par un médecin, un chirurgien, sans mystique.
Philippe Artières réagit à cette intervention en rappelant la définition d’archive selon la loi de 1979 : conservation de tout document produit par une institution. Qui produit de l’archive ? Les archives qui sont étudiées par les historiens (comme des rapports de police), ne sont pas le fait des individus, mais bien celui d’un pouvoir d’Etat. François Cusset abonde sur ce sujet de l’ambivalence du geste d’archivage : à la fois le bruit du geste, des voix, par le bas, mais aussi, par le haut, une opération de domination par l’Etat. Arlette Farge ajoute que l’information qui nous provient par les archives a justement subi le contrôle de cette domination.
Jean-Max Colard revient à l’œuvre de Boltanski, qui pointe justement cette ambivalence, et triche avec l’authenticité : de nombreux éléments présentés par Boltanski comme des archives sont en réalité des inventions, des créations, comme les « boîtes d’archives » à l’entrée de l’œuvre, qui forment une sorte de mur du Pouvoir, mais qui ne sont en réalité que des boîtes à biscuit modernes, trempées dans une cuve de soda pour leur donner leur aspect ancien, rouillé. Les nombreux vêtements de « Personnes » proviennent de friperies. En créant des contrefaçons d’archives, Boltanski donne une impression de mémoire qui n’est pas l’Histoire, et dénonce ainsi le rapprochement abusif entre mémoire et Histoire. Philippe Artières rappelle que plus tôt dans sa carrière, il utilisait de véritables archives personnelles.
Jean-Max Colard et Arlette Farge posent la question du statut du travail de Christian Boltanski : travail d’artiste ou travail de mémoire ? Philippe Artières remarque que, comme l’archiviste qui ouvre ses liasses, la grue de l’exposition (présentée par Boltanski comme le doigt de Dieu qui arrache sans distinction à la vie les individus) remue ce qui est figé, mais que dans l’œuvre en cours de réalisation, « Les archives du cœur », les battements de cœur forment une collection plutôt qu’une archive, puisque les archives ont une origine, une fonction, un fonctionnement précis et étatique.
François Cusset interprète les battements de cœur diffusés dans « Personnes » et enregistrés comme une réaction d’autofiction, un combat contre l’obligation de mémoire étatique, étau mémoriel dû à l’Histoire du XXème siècle, et voit l’œuvre de Boltanski comme un travail de réappropriation de la mémoire par le biais même de son invention.
Philippe Artières soulève la question du rôle de l’artiste, qui face au penseur contraint dans une doxa, est celui qui aujourd’hui fait un diagnostic sur le passé. Jean-Max Colard rappelle les essais de Giorgio Agamben, philosophe italien : le contemporain est l’inactuel, c’est celui qui est engagé dans son temps mais de manière déphasée, pour mieux en déceler les zones d’ombre, de ténèbres. En cela, Christian Boltanski est un contemporain.
François Cusset amène la question du rapport théorie/pratique que chaque artiste se crée. Au départ, Christian Boltanski était placé en infériorité par rapport à son frère Luc, le penseur, alors que lui était artiste. Depuis le régime esthétique de l’art (Rancière), on constate que l’artiste dépend d’une « donation de sens » accordée par le penseur, dans une relation sado-masochiste : le penseur est celui qui concède son sens à l’artiste, mais lui ne déplace pas les foules. C’est l’artiste qui fait des entrées, pas le penseur qui vend ses essais. Dans cette mode des concepts, on trouve de plus en plus d’auteurs dans une surenchère à la difficulté, la complexité de pensée comme un moyen d’évaluation. Foucault et Deleuze ne cessent de démonter le surplomb donné au penseur sur l’artiste, et proposent d’attaquer les mêmes problèmes avec des outils différents, une grammaire différente. Christian Boltanski lui ne dépend pas du tout d’un discours extérieur, ne prend pas la voie d’un art conceptuel. Il refuse même le conflit entre art conceptuel et art expressionniste qui structure l’art contemporain.
Philippe Artières relève dans ce débat théorie/pratique le gros problème qui se pose actuellement aux sciences humaines, et qui devient l’objet d’une demande des sciences humaines et sociales aux artistes : celui de la transmission. Les travaux des sciences humaines étant d’un abord difficile, la solution est-elle de faire de l’exposition un lieu de pensée, comme le philosophe Bruno Latour (Iconoclash) ? Pour François Cusset, l’art est beaucoup plus politique, à la fois parce que les débats sur sa marchandisation en font un sujet politique, mais surtout parce qu’il est un moyen de révolte par rapport au pouvoir, une révolte qui se lit mieux dans une installation que dans un essai. En ce sens, la demande de l’art contemporain aux sciences humaines, c’est de mettre en lumière, d’expliquer, de verbaliser les messages des artistes.
J’ai également assisté à la table ronde d’hier soir, samedi 16 janvier, intitulée Christian Boltanski, Lieux pour l’utopie, et présentant les lieux d’installation de deux nouvelles oeuvres de Boltanski en 2010, notamment les « Archives du coeur ». Je peux faire un billet à ce sujet, qui sera probablement plus court. La prochaine table ronde à laquelle j’assisterai sera je pense L’Art et la Mémoire, samedi 23 janvier.
Bon, je me lance, il faut bien que quelqu’un commence.
Premier point : comme d’habitude dans les conférences, et pas que dans les « sciences humaines », le sujet annoncé est peu discernable dans le débat.
Deuxième point : quand on arrive enfin à ce qui a été annoncé, on n’en traîte qu’une petite partie, ce qui me laisse toujours sur ma faim. Alors oui, je sais qu’on ne peut pas parler de tout, surtout à une conférence publique, et qu’il faut amener le public à soi. Mais quand même.
Troisième point, plus dans le sujet (observez, lecteurs de Carpewebem, que je fais subtilement et exactement ce que je viens de critiquer) : l’art ou le discours pour faire passer des idées. Arf. L’art a l’avantage de toucher un peu plus de personnes, mais au risque de noyer le sens pour l’oeil profane. Le discours a l’avantage d’être précis, mais de noyer le profane dès le deuxième alinéa. Alors je vais être fou, je vais proposer d’allier les deux. Mélanger l’art – la représentation – et le discours dans toute sa vicissitude et sa beauté explicative.
Enfin, au risque de faire long, je voudrais râler contre l’art prétendûment « engagé ». On nous a tellement bien appris que l’art était engagé, avait un message politique, que nous ne sommes plus foutus de nous en émouvoir. Et comme nous sommes perpétuellement exposés aux critiques plus ou moins bien ficelées de la société (oh, le vilain mot…), cela ne nous touche plus. Du moins une fois passé l’adolescence (vous savez, la période de notre vie où on dit de tout que « c’est dégueulasse »).
Mon cher Guillaume,
je te transmets ce lien qui pourra t’intéresser mais que tu as peut-être déjà trouvé :
http://agenda.ipc.univ-paris-diderot.fr/spip.php?article56
we like to honor quite a few other woiwl-drde-web web pages around the internet, even if they aren’t linked to us, by linking to them. Below are some webpages really worth checking out
Alexandre :: Laisser une certaine liberté au discours a un côté agréable, après tout on ne doit pas signer un contrat à la fin. Mais on arrive malheureusement très vite à la fin du temps imparti. Sur le mélange art/discours, je me pose la question. Il faudrait pouvoir faire comme chez l’ophtalmo, cacher un oeil puis l’autre avant de découvrir les deux.
Merci pour le lien, je ne connaissais pas, je garde ça en mémoire pour un moment où j’ai le temps.
[…] C’est l’esprit auquel s’attachent les médiateurs présents dans le Grand Palais : laisser d’abord les visiteurs découvrir par eux-mêmes, puis s’ils le souhaitent, leur donner des clés de compréhension de l’oeuvre de Christian Boltanski. Et ouvrir également l’oeuvre aux enfants, et aux personnes souffrant de handicaps, en mettant en place des visites guidées adaptées. Pour les publics qui veulent aller plus loin, tout un programme de tables rondes est organisé à l’auditorium. Vous pouvez lire mon compte-rendu d’une de ces tables rondes, l’Art comme science humaine. […]
[…] pouvez lire également mon compte-rendu de la carte blanche à Jean-Max Colard : l’Art comme science humaine Partager […]
[…] édition l’immense volume à un artiste contemporain. Après Anselm Kiefer, Richard Serra, Christian Boltanski et Anish Kapoor, c’est à Daniel Buren d’être invité sous la […]
[…] édition l’immense volume à un artiste contemporain. Après Anselm Kiefer, Richard Serra, Christian Boltanski et Anish Kapoor, c’est à Daniel Buren d’être invité sous la […]
son unos sucios, la verdad ninguno de los dos vale la pena, esto detusemra el poco amor que se tienen asà mismos y el nulo amor que tiene hacia su familia. existe la moral y sobre todo DIOS que TODO LO VE. nadie es forzado a nada, cuando cometes algo lo haces con todo el dolo o intension del mundo ya sea para algo bueno o algo malo. la vida no les va a alcanzar para reparar el daño.
antonio comentou em 8 de novembro de 2012 à s 18:36. eu tb me arrepio com esse cara. ele me tira do eixo e se tem uma coisa que eu amo nessa vida é que alguém me vire do avesso… bjs e obrigado