Le 15 octobre 2011, le Louvre organisait une journée de réflexion autour de la notion de musée universel. Un sujet d’actualité alors qu’on projette de construire un nouveau musée universel au carrefour des civilisations arabo-musulmanes, occidentales et asiatiques, le Louvre Abou Dabi.
Qu’est-ce qu’un musée universel ?
Commençons par un rappel. Qu’est-ce qu’un musée universel ? Une définition précise serait sujette à débat, mais on peut dire que c’est un musée qui expose des oeuvres sans distinction d’origine géographique, d’époque ou d’école artistique. Cette définition vague ouvre la porte à de nombreuses questions : comment mesurer l’universalisme d’un musée ? Par les liens qu’il tisse entre les oeuvres, par la richesse de ses collections, par la façon dont il transmet à ses publics les trésors qu’il montre ? Quelle était la volonté à l’origine des premiers musées universels, comment ont-ils évolué, comment fonctionnent-ils aujourd’hui, quel est le sens de la création d’un nouveau musée universel au début du XXIe siècle ? Des questions qui forment une introduction à cette journée de conférences.
Je n’ai pu assister qu’aux trois premières et aux trois dernières interventions, qui adressaient plutôt la notion de musée universel au sens large et non dans le cas particulier du Louvre Abou Dabi. Je me concentre dans cet article sur les trois premières, qui interrogeaient le musée universel vu respectivement sur le plan national, de l’intérieur dans son concept et son modèle, et du point de vue de la société. Des aspects respectivement illustrés par la présentation du British Museum, du Louvre et du Metropolitan Museum.
Le British Museum, ou le musée universel face au musée national
Si, comme le rappelle Andrew Burnett, le British Museum a été fondé comme le Louvre au XVIIIe siècle (et en tant que musée plus tôt que celui-ci) comme un musée universel, cette vocation a ensuite perdu de sa puissance, en voyant ses collections se fragmenter. Les peintures partent en 1821 à la National Gallery, les fonds d’histoire naturelle partent au Natural History Museum, et cette fragmentation recommence même en 1997, quand les livres sont déplacés à la British Library. En plus de dépouiller ce musée initialement universel, on lui reproche de ne pas héberger des antiquités britanniques, de ne pas être un musée de la Grande Bretagne.
Depuis une génération, pourtant, la recherche universitaire revient sur cette triste évolution, et opère un retour aux sources universalistes et interdisciplinaires du musée. Une relève convaincue que le rassemblement d’objets de toutes les cultures au même endroit apporte à la réflexion et qu’il serait bien dommage, bien peu ambitieux, de se limiter à ne conserver dans un musée que des objets de l’histoire de son pays.
L’autre élément qui marque ce début de XXIe siècle, c’est l’émergence d’une nouvelle forme de citoyenneté, unifiée et globale, qui pousse à reconsidérer l’identité du musée universel. Il ne sert pas les citoyens d’un seul pays mais de tous, les amateurs d’art pouvant ainsi au gré de leurs voyages découvrir l’ensemble du patrimoine conservé et exposé de l’humanité. Pour être plus réaliste, imaginons plutôt que c’est ce patrimoine qui peut voyager entre les différents musées pour être vu par les amateurs d’art des cinq continents. On voit s’esquisser la question qui fait immédiatement débat lors de la création d’un nouveau musée universel : faire partir des oeuvres des musées, français dans le cas du Louvre Abou Dabi, c’est en premier lieu les soustraire au regard des visiteurs de ces musées. S’ensuit une polémique de l’ordre de déshabiller Pierre pour habiller Paul…
Le Louvre, ou se construire comme un modèle universel
L’intervention de Dominique de Font-Réaulx rappelait ensuite la dimension universaliste du Louvre, déjà présente à son origine et toujours conservée. Elle proposait dans une brève histoire du Louvre de montrer que le Louvre s’est toujours pensé en aspirant à être un modèle universel du musée universel, et comment cette aspiration a porté son développement. Je détaille moins cette intervention qui abordait ainsi moins les questions du rôle et du positionnement du musée universel que les décisions qui président à la constitution de sa collection.
Le Met, ou le musée universel comme ascenseur social et moral
Pour clore ces présentations de musées universels existants, c’est Thomas Campbell, directeur du Metropolitan Museum, qui donne une troisième vision du musée universel. On comprend aisément que l’histoire du musée universel américain est plus récente que celle de ses homologues. Les circonstances et les causes de sa fondation sont elles aussi différentes. En 1870 à New York, le contexte économique et social est difficile. L’idée géniale qui vient alors non pas de l’état fédéral mais de quelques privés ayant visité les plus grands musées d’Europe, c’est qu’apporter aux new-yorkais un tel lieu de culture serait leur fournir un véritable ascenseur social et moral, une élévation qui contribuerait à s’extraire de sa situation. Un investissement à long terme dans une éducation des citoyens qui n’est pas immédiatement rentable mais contribue à créer des compétences et des personnalités inestimables, au-delà de la simple exécution mais capables de s’extraire de leur temps, de leur culture propres pour avoir une vision d’ensemble… On serait bien inspirés d’y penser en 2011. Je m’égare, et j’oublie de parler du fait que le Met est toujours géré de manière privée, et fonctionne toujours grâce aux dons de mécènes privés… mais de moins en moins bien. Les aristocrates fortunés qui finançaient autrefois largement l’institution, qui étaient probablement les produits d’une culture cultivée, celle où l’on apprend l’art et les humanités même si l’on se destine à la science, se sont vus remplacer par les fortunes de l’industrie et du commerce du XXe siècle et autres self made men. Et curieusement, depuis, les mécènes du Met se font de moins en moins nombreux et de moins en moins généreux.
De ces trois interventions, on retire une idée de la richesse du concept de musée universel qui prépare à la réflexion qui suit… peut-être dans un article à venir !
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