Du 1er mars au 8 mai 2011, le duo Société Réaliste propose au Jeu de Paume un ensemble d’oeuvres sous forme de programme critique de l’individualisme, du libéralisme, des structures de pouvoir et de leurs moyens.
Plus qu’exposer, Société Réaliste déploie avec Empire, State, Building un dispositif d’exposition structuré autour de deux oeuvres principales :
The Fountainhead (2010) est le premier long-métrage de Société Réaliste. Initialement, c’est un film de 1949 d’après un scénario d’Ayn Rand, libérale radicale qui glorifie dans le film la réussite économique d’un architecte, égoïste, phallocrate, figure d’individualisme. The Fountainhead original esquisse le capitalisme contemporain. Société Réaliste retire de ce film tout son et tout personnage pour ne plus représenter que le symptôme du capitalisme dans l’architecture moderne, l’empreinte positive des structures de pouvoir.
C’est cette vidéo, visible en face de l’entrée de la première salle, qu’il faut je pense regarder en premier : en effet, le reste de l’exposition est composé d’éléments critiques formant un espace spéculatif qui répond à The Fountainhead. Cet espace est structuré par des rappels topologiques à la deuxième oeuvre centrale de l’exposition, Culte de l’Humanitée (2011) (la « faute » est volontaire et fait partie du nom de l’oeuvre), vers laquelle vous vous dirigerez après avoir vu The Fountainhead et que vous trouverez dans la deuxième salle. Culte de l’Humanitée évoque pour mieux le critiquer le positivisme scientifique et politique d’Auguste Comte (1798-1857) et son influence sur les futurs positivistes brésiliens, qui contribuèrent au renversement de l’empereur et à la proclamation de la République en 1889. Un sujet éminemment d’actualité. Tout comme le drapeau brésilien est orné du ciel étoilé au dessus de Rio de Janeiro la nuit du 14 au 15 novembre 1889, Société Réaliste construit Culte de l’Humanitée comme la superposition du ciel parisien du 5 au 6 octobre 1789 et du calendrier imaginé par Auguste Comte, où chaque mois, semaine et jour porte le nom d’une personnalité ayant marqué l’Histoire de l’Humanité. Dans tout ce calendrier, seulement 13 noms de femmes…
Toutes les autres oeuvres sont ensuite situées dans un espace/temps en niveaux de gris, au milieu de dates/étoiles extraites de Culte de l’Humanitée. Chacune de ces pièces interroge un aspect de la production et de la reproduction de pouvoir. Par exemple, dans ses systèmes de signes et de valeurs : New Alphabetical Order (2009) est une proposition d’alphabet reconnaissant la prépondérance de l’argent.
Plusieurs oeuvres fonctionnent en groupe et étudient les modèles de construction de l’espace-Etat. Par une méthode à la fois absurde et froidement scientifique, Société Réaliste démontre notamment avec Cosmopolites de tous les pays encore un effort (2010), en superposant les frontières des 192 Etats membres de l’ONU, que l’Etat « moyen » est très proche d’un carré, et que sa capitale est proche du centre de celui-ci. L’endroit le plus stratégique pour contrôler un empire, un panoptique à l’échelle nationale.
Empire, State, Building est une exposition/espace/oeuvre totale tant par les liens logiques finement tissés entre ses éléments que graphiquement par les couleurs, ou plutôt par l’absence de couleurs. Des références, de la réflexion, une promesse d’effervescence intellectuelle. On y court !
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