Emoi & moi, au MAC/VAL

Du 23 février au 28 avril 2013, le MAC/VAL réunit pour sa première exposition temporaire de l’année une quinzaine d’artistes autour du thème de l’introspection et des différents aspects du moi.

Comment, en partant de l’espace physique, du monde dit « réel », de la salle (blanche) d’exposition par exemple, passer la barrière de l’identité pour explorer la mémoire, observer l’inconscient, tenter de le manipuler, se pencher un peu, beaucoup vers lui, et arriver dans un nouvel espace qui serait le moi avec ses propres objets ? Voyage au bout de vos nuits.

Petit regard à l’extérieur avant d’entrer. Le monde et moi. Quel monde ? Dessinés de mémoire par plusieurs personnes les territoires géographiques ne sont plus les mêmes, tout comme les organes du corps. Dans une oeuvre constructiviste (Atlas, images restaurées, 2005), Pierre Joseph canarde le concept de réalité unique avec tout un panel de réalités personnelles. Il met mes organes au même rang que le reste du monde, moi comme ma réalité, le monde comme ma réalité. « Je » est le monde, je suis mon appropriation, ma construction.

Qui est gagnant avec son « je » de construction ?

« Je » est une oeuvre pour moi et pour les autres : comment dire le moi autrement qu’en le construisant, par des murs, une marque, une forteresse ? Annette Messager a ainsi naturellement rassemblé deux collections en une installation (Ma collection de châteaux, 1972) et (Collection pour trouver ma signature, 1972). Mais qui est gagnant avec son « je » de construction ? Que devient le sujet si on le fait grossir, grossir pour être le plus visible possible ? Mark Wallinger affiche le « I » (Self-Portraits, 2008), d’autant plus isolé et vide de sens qu’il est étiré, élargi.

Le sort du monde extérieur et de la construction de l’identité étant réglé, Absalon ne s’y intéresse pas. Il le peint en blanc et ne considère qu’un espace minimal, white cube générique qui enferme mais protège, protège mais enferme (Cellules 1-9, 1991). « De toute façon, je me sens seul et dans cette prison je me sens toujours seul, mais mieux. », peut-on lire en légende de cette oeuvre sur le site du musée. Dans ses cellules blanches de 9 m2, Absalon se filme en train d’accomplir les seules choses qu’elles lui permettent, ses besoins premiers (Proposition d’habitation, 1990).

Pas de fenêtre, pas de porte, pas de semblables. Que cette cellule soit carcérale ou monacale, il ne reste que le repli sur soi. Même les traces du passé, laissées précautionneusement par Pierre Buraglio dans son mémento (Mémento caviardé, 2005), ont été tout aussi précautionneusement noircies par lui-même. Effacer les traces du passé, pour en empêcher le souvenir, pour effacer le passé ? Ce dont personne ne se souvient existe-t-il ? Pour esquisser de nouvelles traces, donnez à Simon English (Keep Me in the Apple of Your Eye, Hide Me in the Shadow of Your Nakedness, 2012-13) de quoi remplir ce blanc à partir de ce qu’il retrouve dans sa mémoire. Dessiner des histoires personnelles, populaires, ses souvenirs littéraires et artistiques. Mais sans sources auxquelles se référer, comment être sûr de cette restitution ? Sans même quelqu’un d’autre avec qui essayer de reconstruire maladroitement le puzzle du passé en mettant en commun des pièces qui s’imbriquent mal ? Qu’est-ce qui vient alors subrepticement créer les trous de mémoire pour parfois les remplacer par quelque chose d’autre, pas n’importe quoi ? L’inconscient de Simon, probablement. [1]

Oui, nous avons trouvé des traces d’inconscient dans les défauts de la mémoire, mais comment en voir plus ? Où trouver l’inconscient ? Dans le rêve, bien sûr. Pascal Convert projette sur les murs de sa cellule blanche les traces sensibles, ou plutôt mesurables, de son activité cérébrale et physiologique pendant son sommeil (Chambre de sommeil, 1992). Alexandre Gérard, lui, est atteint de somniloquie (il parle en dormant). Pour (Nocturnal, 2001), il a enregistré ses paroles nocturnes, qui vont d’un ou deux mots à des phrases entières. Vous pouvez, dans l’exposition, mettre des écouteurs, fermer les yeux et entendre, comme si vous étiez dans sa cellule de sommeil, ce que dit son inconscient. Mais c’est un peu déroutant, dérangeant, alors les transcriptions sont présentées à côté sur des feuilles (blanches) bien moins impliquantes, bien plus confortables.

Des scénarios de rêves sur mesure ?

Pour ceux qui ne sont pas somniloques, on dit qu’on peut se souvenir de ses rêves, à force d’entraînement. Mais comme ceux-ci ne sont pas toujours ceux que consciemment on souhaiterait, avec Joris Lacoste (ou avec Philip K. Dick [2] mais il n’a pas été invité) on peut préparer des scénarios de rêves sur mesure qui seront transmis par hypnose pour utilisation ultérieure (4 prepared dreams, 2012). Ou plutôt pour ré-utilisation, re-composition : la maison ne garantit pas l’adéquation entre le rêve suggéré et le rêve rêvé (surtout en cas d’interférence avec votre mémoire).

Pour aller au-delà de ces expérimentations, il faut lancer à l’art le défi de la représentation des espaces mentaux. Tatiana Trouvé esquisse ainsi une mise en lieu de ces espaces, de leur topologie, de leurs productions. En laissant de mystérieuses portes fermées derrière lesquelles on devine une activité, d’arrière-cuisine ou d’arrière-salle, qu’elle choisit de ne pas montrer (Polder, 2005). Alors, bien sûr, même si on se doute que ce qu’on va y voir ne va pas nous réjouir, on y va quand même.

Tatiana Trouvé nous avait caché le refoulé, la violence, l’obscurité. Elle avait caché Daniel Pommereulle et ses objets aux pointes acérées et aux lames tranchantes (Objets de prémonition, 1974-75), des aperçus de terreur pure qui nous gênent, nous piquent directement au delà de l’intellect. Not fair. Mais Tatiana Trouvé nous avait aussi caché l’angoisse et les hallucinations, comme celles du siège écartelé (série L’aliment blanc, 1963), extrait de 120 reliefs et sculptures-objets et 130 dessins matérialisant un « aliment blanc » envahissant.

Comme à son habitude le MAC/VAL nous offre une exposition qui ne laisse pas indifférent et donne à voir et à penser, consciemment et inconsciemment, et ce pour le même prix modique. Une affaire à saisir.


[1] On lira avec intérêt la Psychopathologie de la vie quotidienne de Freud.
[2] Lire We Can Remember it for You Wholesale, ou les adaptations cinéma intitulées différemment (Total Recall) et qui s’en éloignent assez rapidement.


Ma visite a eu lieu le soir du vernissage de l’exposition, qui était également l’occasion d’organiser un SMV (le 78e !). Merci beaucoup à Delphine Haton pour son accueil, le SMV a pu s’installer confortablement !

Cet article vous a plu et/ou vous fait réagir ? Partagez-le, laissez un commentaire ou abonnez-vous au flux RSS pour ne rien manquer des prochains !

Commentaires Facebook

4 commentaires

Répondre à 1Soir 1Musée 1Verre (@legroupeSMV)

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *