Du processus idéal d’écriture de critique d’exposition et du problème des images

Comme je l’ai déjà écrit par ailleurs, l’exercice du blog de chroniques d’expositions est une gymnastique. A chaque artiste, à chaque exposition, il s’agit de se pencher vers des manières de voir, vers des modes de pensée toujours différents. Et plus encore que se pencher vers, il faut ensuite savoir développer, temporairement ou définitivement, un penchant pour une oeuvre.

Comment, concrètement, est-ce que cela se déroule ?

Si le penchant est déjà là, si l’on est déjà un amateur, un ami-de l’oeuvre ou de l’artiste, alors son paysage ne nous est pas inconnu. On se rend à l’exposition comme on visiterait une villégiature de son enfance, retrouvant ici un geste familier, là une lumière connue. Facile, alors, dès cette première visite, de la raconter sans tarder, la seule hésitation pouvant être celle de choisir lequel de tous nos chemins favoris nous souhaitons faire découvrir à notre lecteur.

Mais fort heureusement la vie éprise de culture réserve de nombreuses surprises, découvertes, offre des occasions de trébucher vers l’inconnu. En suivant avec confiance ses amis, en tentant la visite conviviale d’une terre culturelle inconnue avec le groupe un Soir, un Musée, un Verre.

Alors, tout est plus complexe pour le blogueur.

La première visite peut laisser tout à fait indifférent. Alors ici on n’en parlera pas. Mais si elle ne laisse pas indifférent, c’est parce qu’elle peut aller du choc esthétique touchant au physique, qui laisse pantois, de gêne ou d’émerveillement, jusqu’à la profonde interrogation métaphysique. Dans tous les cas entre ces deux extrêmes, la première visite est toujours trop courte, elle impressionne au sens impressionniste, impossible dans ce festival de sensations de prendre le recul nécessaire pour identifier les points déterminants, dessiner des fils rouges, dénicher et interroger les bifurcations. Les cartels et textes sont au mieux à peine suffisants, voire carrément inexistants, nous laissant abandonnés dans de grands espaces blancs, assaillis de signifiants tout autour sans guide, sans corde, sans piolet.

Je fus dans cette situation, comme de nombreuses fois précédemment, au sujet de l’exposition Hantaï au Centre Pompidou. La visite, proposée par Flore, a été ma première découverte de l’oeuvre. Quelques mots volés à une visite guidée par le commissaire d’exposition ont agi comme exhausteur de ma perte curieuse et impatiente dans le cheminement créatif de l’artiste. En état de choc, sans logique, j’ai pris des photos d’une qualité exécrable de certaines oeuvres que j’avais le droit de photographier, simplement pour pouvoir m’y raccrocher ensuite.

La seule étape possible ensuite c’est mûrir. Si un jour, toi chargé de la communication d’une exposition, tu m’invites à visiter une exposition d’un artiste qui m’est inconnu, et que je publie un article le jour même, ce qui est hautement improbable, n’en attends pas grand chose. Si ça ne m’a pas plus marqué que ça, je t’aurai même probablement dit que je ne pourrai pas écrire dessus.

J’ai mûri ma visite de Hantaï. Aujourd’hui, j’ai autour de moi 20 onglets ouverts dans Chrome, des heures de cours audio de Deleuze sur le pli baroque chez Leibniz, une cinquantaine de pages et d’articles imprimés, deux livres dans mon panier sur Amazon sur mon bureau, plusieurs pages de carnet noircies, des notes et citations griffonnées un peu partout au crayon de papier, certaines envoyées sur Twitter. ll faut bien vous faire patienter. Le problème avec Internet, c’est que quand tu tires un fil, c’est toute l’usine Phildar qui vient avec. Et j’aime bien ça, tirer des fils.

Après s’être penché, il faut se plonger dans ce magma d’informations obtenues, s’immerger, y rester jusqu’à ce que ça prenne forme, jusqu’à ce que ça fasse sens, qu’on trouve enfin au moins un angle d’attaque, et surtout, au plus, disons trois ou quatre, au delà l’esprit humain se perd. Cette étape aussi prend du temps.

Alors enfin, on tient des lignes et des points, mais il faut les transmettre, les montrer, surtout lorsqu’il s’agit d’art. Ces points, ils vont correspondre précisément à des tableaux, comme des étapes au fil d’une oeuvre.

Ce que je veux dire par là, c’est que c’est seulement bien après ma visite que je vais savoir quelles oeuvres je veux montrer sur le blog pour illustrer ce que j’ai cru saisir. Les aurai-je prises en photo ? Peut-être, en tout cas certainement pas correctement. Les photos que je prends au mobile au cours de ma visite ne me servent que comme de petits points de repère au début, comme on fait quelques croix au crayon avant de bâtir.

Idéalement, avec un temps infini et si je n’avais pas à payer pour accéder aux expositions, si les gardiens ne m’en empêchaient pas, j’y retournerais et je prendrais correctement, avec une haute résolution, des photos de ces oeuvres. L’autre solution, c’est de prendre contact avec les services de relations presse pour dénicher ces images.

J’ai probablement des exigences plus pénibles que pas mal de journalistes, certes. Mais j’y consacre des heures, et à chaque fois que j’ai réussi à mener à bien tout ce travail, je n’ai jamais eu que des retours enthousiastes, de la communication, des relations presse, comme des commissaires quand ils sont tombés dessus. Je ne suis pas issu d’études d’art, ce que j’écris n’a aucune prétention scientifique, je veux juste réussir à partager des choses pas trop bêtes, me dire que j’ai avancé un peu. A chaque retour dans ce sens d’artiste ou de commissaire je suis aux anges.

C’est hélas là, au dernier moment, à deux doigts de la publication, alors qu’il n’y aurait plus qu’à inclure les images des oeuvres identifiées, que commence la partie la plus harassante, la plus frustrante de tout ce travail. Comme si les différents ayant droit semblaient finalement engagés, non pas pour faire connaître des oeuvres et aider ceux qui en parlent, mais dans une quête pour limiter la diffusion des images des oeuvres.

J’ai déjà dû montrer patte blanche en listant une dizaine d’articles précédents sur une institution.
J’ai déjà dû promettre de mettre des images pas trop grandes, et de les retirer à la fin de l’exposition.
J’ai déjà dû insérer tellement de textes de crédits qu’ils prenaient presque autant de place que l’image.

J’en passe.

J’ai déjà abandonné la publication de textes devant l’impossibilité de les illustrer d’une manière satisfaisante.

La situation est largement différente d’une institution à l’autre. J’ai déjà, comme blogueur, tout vu je pense. Certains ont déjà ouvert leurs bases d’images. Certains valident une première fois par formulaire un accès à une base d’images pour toutes les expositions. Pour d’autres, à chaque exposition il faut se présenter à nouveau et quémander, même pas un accès à une base d’images, mais les images une par une, par e-mail. Avec une ambiance de méfiance. Qui êtes-vous ? Pourquoi voulez-vous ces images ? Combien de personnes touchez-vous ? (Ah, cette question qui vous ramène non pas aux heures passées à éplucher une biblio mais à un bon vieux chiffre.)

Aujourd’hui j’ai envie que les choses avancent. Je me suis déjà arrêté aussi à cause d’obstacles de ce genre, donc j’ai besoin que ça bouge si je veux pouvoir continuer à bloguer par plaisir. Je ne suis pas un vilain méchant qui s’enrichit en utilisant les images des oeuvres pour vendre des produits dérivés. Oh, s’enrichir avec un blog culture, loin s’en faut, c’est plutôt le contraire. J’ai, depuis le temps, assez montré que je faisais une utilisation raisonnable des images, comme nombre d’autres blogueurs dans le secteur culturel.

Dans cette situation et à cet instant, j’ai envie de poser une question :

Comment peut-on repenser le rapport entre ceux qui diffusent les images et ceux qui les utilisent pour fluidifier leur usage vertueux ?

Si vous êtes ayant droit, blogueur ou journaliste, si vous travaillez dans un musée pour la conservation, la communication ou la médiation, dites-moi ce que vous en pensez, quelles sont vos contraintes, pourquoi. Où commence et où se termine le fair use ? Ca existe en vrai, un fair use des images d’oeuvres ?

Tous ensemble, essayons de voir ce qu’on peut faire. Les blogueurs/journalistes en trouvant un moyen d’assurer la confiance des RP et ayant droits et en leur permettant de faire leur travail de bilan des retours médiatiques, et les RP et ayant droits en ouvrant le coffre-fort des images et des exigences sur les droits. Si vous pouvez relayer, répondre en commentaire ou même sur votre blog, si vous voulez me proposer un droit de réponse d’un syndicat éphémère des professionnels des musées face aux amateurs rédacteurs, faites, je publierai avec plaisir !

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Un commentaire

  1. 10 septembre 2013
    Répondre

    Eternel problème d’une société où la moitié de la population a compris ce qu’est le web, et pas la moitié qui décide.

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