[Rating:2.5/3]
[NDLR : On retourne à Londres, cette fois-ci à la Tate Britain, puisque j’ai l’honneur de recevoir pour la première fois, et certainement pas la dernière, Claire Solery, qui vit à Londres et travaille, si je ne m’abuse, avec ce que le monde de l’art fait de plus grand ! — Guillaume]
C’est sans doute l’absence apparente de force d’évocation et ma méconnaissance totale du sujet, l’aquarelle – de l’eau, une boîte de couleurs, voilà tout ce que j’en savais- qui a fait que je ne me suis pas précipitée à la Tate Britain pour voir cette exposition, débutée depuis le 16 février déjà et qui s’achève ce dimanche 21 août. Celle-ci présente, étendue sur plus de mille ans, une vision fragmentaire et fort complexe du rôle unique que jouèrent les œuvres peintes à l’aquarelle sur la psyché britannique. Le reste du monde y fait également de remarquables apparitions.
Facile à transporter, plus adaptée techniquement que n’importe quel autre médium à la minutieuse représentation du détail, l’aquarelle voyagea avec les topographes et peintres du Royaume comme avec les explorateurs , du bas Moyen-Âge, jusqu’au 19ème siècle. Elle s’abrita aussi au creux du cou des aristocrates, servant à peindre les portraits des époux et épouses portés en médaillon. De la chambre à coucher aux horizons de plus en plus lointains, les prouesses techniques réalisées grâce à l’aquarelle donnent des frissons. Le pelage d’un extraordinaire wallaby, la tige gracile d’une plante rare, découverts au gré des expéditions : entre la précision nécessaire à la nomenclature naturaliste des espèces et à la cartographie, et la beauté exotique et mystérieuse, forcément subjective de l’altérité, l’aquarelle, jouant de toutes ses nuances, s’avéra être un formidable moteur de propagation des savoirs et des images dans l’Empire.
L’ « exception britannique » réside dans le fait qu’il existât bel et bien une approche structurée du « genre » comme il y en eut une pour la peinture à l’huile. Au milieu du 19ème siècle, se formèrent clubs et salons d’aquarelle, et ces derniers n’évitèrent pas un empêtrement certain dans l’académisme. A la décharge des peintres « de salon », la salle qui leur est consacrée durant l’exposition est d’un vert bouteille très peu flatteur pour des œuvres déjà chargées, ce qui peut parfois confiner à l’épreuve visuelle.
C’est finalement le dépassement des techniques picturales par la photographie et le questionnement de la figuration en peinture qui semblent avoir complètement libéré la versatilité et la force poétique de l’aquarelle, à même d’évoquer avec la même troublante force de suggestion, la violence et la brutalité guerrière, entre documentaire et métaphore, les recoins secrets de l’esprit humain ou l’effacement de la figuration, au profit d’une réflexion sur les mouvements et les formes.
C’est de la relation de deux corps, couleur et eau, et de leur noces incertaines sur un support que naissent l’instabilité et la versatilité fondamentale d’une technique dont on ne sait si elle est malléable à souhait ou si c’est elle qui nous mystifie.
Si je dois regretter spécifiquement l’absence d’interactivité sur une exposition consacrée à un genre et une technique particuliers, et l’arrivée au beau milieu du parcours d’une salle consacrée à la technique de l’aquarelle à travers les âges dont on ne sait trop ce qu’elle vient faire là, il me faut rendre hommage à l’intelligence rare avec laquelle est conçue l’exposition. La sélection d’œuvres est absolument remarquable. Les maîtres britanniques y figurent en bonne place de l’aquarelliste et paysagiste Thomas Girtin à l’écossais Peter Doig, en passant par Turner. L’accrochage permet des regards croisés entre styles et époques qui conserve intacte la stimulation intellectuelle tout au long de l’exposition. La scénographie est la plupart du temps irréprochable et accompagne le visiteur à travers un propos pas évident, mais sans trop de didactisme.
Si vous passez ce week-end à Londres, courez-y.
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