Pourquoi y a-t-il des messages qui me disent de faire du sport dans les publicités pour mes barres chocolatées ?
Vous avez peut-être raté cet épisode d’actualité qui, entre nous, me sidère un peu. Parlons-en.
Des associations ont communiqué leur crainte que la publicité pour les produits alimentaires ne soit responsable de l’augmentation des problèmes de santé dus au poids. Soit. J’aurais volontiers argué de la présence d’autres causes plus influentes, ou de la présence entre cette cause et cet effet d’un agent théoriquement doué d’esprit critique, mais ne refaisons pas le monde pour l’instant.
Notre appareil a prestement légiféré.
L’article 29 de la loi 2004-806 du 9 août 2004 insère l’article L2133-1 dans le code de la santé publique. Voici son contenu au 5 février 2008 :
Les messages publicitaires télévisés ou radiodiffusés en faveur de boissons avec ajouts de sucres, de sel ou d’édulcorants de synthèse et de produits alimentaires manufacturés, émis et diffusés à partir du territoire français et reçus sur ce territoire, doivent contenir une information à caractère sanitaire. La même obligation d’information s’impose aux actions de promotion de ces boissons et produits.
Les annonceurs peuvent déroger à cette obligation sous réserve du versement d’une contribution au profit de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé. Cette contribution est destinée à financer la réalisation et la diffusion d’actions d’information et d’éducation nutritionnelles, notamment dans les médias concernés ainsi qu’au travers d’actions locales.
La contribution prévue à l’alinéa précédent est assise sur le montant annuel des sommes destinées à l’émission et à la diffusion des messages visés au premier alinéa, hors remise, rabais, ristourne et taxe sur la valeur ajoutée, payées par les annonceurs aux régies. Le montant de cette contribution est égal à 1,5 % du montant de ces sommes.
Les modalités d’application du présent article, et notamment les conditions de consultation des annonceurs sur les actions de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé, sont déterminées par décret en Conseil d’Etat pris après avis de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments et de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé et après consultation du Bureau de vérification de la publicité.
Sans surprise, l’industrie alimentaire dans son immense majorité a opté pour les slogans sanitaires du type « Pour votre santé, mangez au moins cinq fruits et légumes par jour » ou « Evitez de manger trop gras, trop sucré, trop salé ».
CQFD : vous savez maintenant d’où viennent ces messages, et vous pourrez en parler à table, le dessert faisant office de tremplin à votre brillant lancement de conversation de société.
Pour revenir aux slogans sécuritaires, à l’avenir, j’opterais assez pour « Ne courez pas avec des ciseaux », et « Pour éviter des chutes de plain-pied, jetez moi à la poubelle après consommation » sur les bananes. Je lis dans un article du Monde daté d’hier (1) une information au mieux amusante :
… une majorité des sondés (54 %) font une confusion entre le sens du message et le produit promu dans la publicité. Par exemple, ils sont 44 % à penser, à tort, qu’une pub pour un yaourt aux fruits accompagnée du message « manger cinq fruits et légumes par jour » signifie que ce yaourt fournit une portion de fruit.
Le mot de la fin, je l’emprunte à Philippe Meyer : « Le progrès fait rage ».
(1) : Bilan mitigé des messages nutritionnels dans la publicité (LeMonde.fr)
Voilà qui semble emprunter la voie de notre mode de vie actuel. Tous les discours sur le sujet nous tiennent finalement le même discours hypocrite, histoire de se donner bonne conscience: Achetez mon produit, mais attention danger, ça pue. Mais achetez le quand même.
– Buvez ma notre merde mais fermez bien la bouche, c’est pas bon pour vous.
– Fumez nos clopes, mais ne l’allumez pas ça va vous flinguer.
– Achetez nos voitures, mais ne roulez pas, ça fout en l’air l’écosystème. Ne vous garez pas non plus, y a trop de voitures arrêtées, c’est d’ailleurs pour ça qu’on fait aussi payer.
– Faites du sport, c’est bon pour la santé, pas la votre, celle du bilan financier de la sécu.
– N’en faites pas trop non plus, vous pourriez vous blesser, ça va encore nous coûter un max.
Mais n’est ce pas le relicat de notre culture judéo-chrétienne ?
– Faites des bébés mais surtout, pas de sexe. C’est mal. Ou alors juste le minimum, à condition qu’il n’y ait pas de plaisir. Pas bouger.
Pour la suite, voir le monologue final de "L’associé du diable".
Tout à fait d’accord avec toi Johnsteed!
En plus maintenant on ne mange plus, on se soigne!
Plus de nourriture-plaisir, tout est déconstruit en apports journaliers, en pourcentages, en résultats digestifs… même kinder, la pause-plaisir par excellence…
Le pire? tous ces colorants, ogm, aluminum et autres dérivés du pétrole, qui, loin de nous ‘soigner’, nous détraquent vraiment!
En effet, nos gouvernements successifs ont une légiféromanie aigüe. Il se passe un truc, crac, ils légifèrent. Non pas pour que ça ne se reproduise pas, mais pour deux raisons simples :
– qu’on sache à qui est la faute, car sans la loi, on ne sait pas,
– que la faute ne puisse en aucun cas être imputée au gouvernement (comme dans le cas du sang contaminé).
D’où vient le problème? Du point que tu soulèves au début de ton article : l’esprit critique. Tu pars du principe que les gens ont tous un esprit critique. Ils en ont un, mais il n’est pas toujours branché. C’est à mon avis le problème fondamental de la démocratie : qu’est-ce qu’on fait des cons? Au sens large, bien sûr. Je veux dire toute personne qui fait une connerie doit logiquement assumer sa bêtise. Mais non, les cons préfèrent attaquer en justice leur marchand de gâteaux parce qu’il fait des aliments mauvais pour la santé.
Si les gens avaient tout le temps ce fameux esprit critique, personne ne prendrait sa voiture pour faire 500 mètres, personne ne fumerait, personne ne mangerait de hamburger à tous les repas, etc.
C’est là l’inconvénient de l’esprit critique : il va se promener ailleurs, plus ou moins souvent…
Malheureusement, cette solution dont vous avez bien souligné les ridicules insuffisances est probablement le dernier rempart de notre liberté : ne pouvant interdire purement et simplement la consommation (peut-être seulement parce que la Consommation est sacrée) de certains produits qui plombent la Sécurité Sociale (ce qui est Mal), notre société se donne bonne conscience en se disant qu’elle aide le consommateur à faire "les bons choix" (comptez le nombre de fois où vous lirez-entendrez cette expression).