Grayson Perry, The Tomb of the Unknown Craftsman, British Museum (English version at the end)

[Rating:3/3]

Du 6 octobre 2011 au 19 février 2012, une des institutions les plus réputées au monde donne carte blanche à un atypique lauréat du Turner Prize, qui a passé deux ans dans les caves du musée à sélectionner les objets et artefacts archéologiques propres à éclairer sa production artistique. Si votre billet pour Londres est déjà acheté, courez-y. Sinon, mon conseil serait d’investir.

 

A tort ou à raison, les expositions de type « un artiste contemporain rencontre une vénérable institution » se sont multipliées ces dernières années, déclenchant un ensemble de polémiques devenues récemment carrément frontales. On reproche a certaines d’entre elles d’allier un opportunisme sans grande logique artistique à la pollution esthétique du patrimoine, à de sombres desseins mercantiles. Elles ont également  de fervents défenseurs.

Pour ma part, qu’il me soit permis d’évacuer  ce débat et de ne pas faire de « The Tomb of thé Unknown Craftsman » , qui semble en premier lieu s’inscrire dans ce type de démarche, un prétexte à en découdre. Il est utile néanmoins de préciser en exergue que c’est bien l’ « artiste contemporain », en l’occurrence Grayson Perry, qui envoya en 2008 un projet mûrement reflechi au British Museum apres plusieurs expériences plus ou moins satisfaisantes dans la même veine.

Petit garçon, grandissant dans un foyer familial en cours de dislocation, il était venu avec sa mère et ses soeurs passer une journée a Londres et avait visité le département des antiquités égyptiennes du British Museum, car le gardien lui avait dit qu’il y trouverait des maquettes de bateaux. Quelques cinquante ans plus tard, le voici qui, secondé par l’équipe du British Museum, a sélectionné « intuitivement » une serie d’objets issue des collections du Musée pour illuminer le rapport à l’artisanat, aux cultes, au sacré, au genre, préexistant dans son oeuvre.

D’un côté donc : Le British Museum, une « gigantesque tombe » de plus de 8 000 000 d’objets et artefacts archéologiques du monde entier, fruits de millénaires d’art, d’artisanat, de cultures et de modes de vie, mausolée de destinées anonymes qui se croisent la où « Le monde rencontre le monde ».

De l’autre : Grayson Perry, couronné du prix Turner 2003, détourneur de formes anciennes avec un penchant prononcé pour la céramique et la tapisserie, sur lesquelles se déclinent politique, sexualité, religion, internet et plus encore. Egalement connu en tant que Claire, de blond perruquée et de rose vêtue, son alter ego féminin,  il est le propriétaire – ou est-ce une appartenance mutuelle? – d’une jeune homme de 50 ans, Alan Measles, son ours en peluche, paré des vertus masculines, virilité et sagesse, qu’il estime ne pas posséder en propre.

A la croisée de ces chemins, une exposition absolument exceptionnelle, un « produit’ qui veut ne pas relever du commissariat scientifique , ni de l’ego trip en roue libre, mais d’un parcours personnel et artistique mis en lumière dans un jeu de correspondances entre l’anonymat des objets sélectionnés  dans les entrailles du « British », et une voix qui dissèque sa propre singularité, mais trace au milieu un chemin propre pour le visiteur.

A travers les artefacts du mausolée personnel de Grayson Perry, son ours avec lequel il part sur les routes en pèlerinage,  et les débats sociaux et esthétiques qui le préoccupent tout particulièrement, se découpe une exposition qui parle de guerre, de magie, de genre, de mensonge et de recherche constante de la vérité, et qui se conclut par le dernier voyage, la mort, sans jamais ressembler a un parcours anthropologique  ou ethnologique typique, ni a une rétrospective habilement masquée.

Le trésor des trésors dans « The Tomb of thé Unknown Craftsman », c’est justement le dispositif de narration et de mise en scène, capital dans l’enchevêtrement entre l’extrême diversité des collections et leur compagnons de route contemporains. La disposition des objets ressemble de loin à s’y méprendre a une galerie classique du British Museum avec ses alignements de médailles , et d’artefacts en vitrine, mais ce sont des badges de motards qui se mêlent aux pièces de monnaie anciennes et un casque qui apparaissait de loin bien plus antique que sa date de réalisation, 1981.
Les cartels , en lieu et place de la profusion d’information sur la date, le processus de fabrication et les usages culturels de chaque objet habituellement présentés, sont volontairement évasifs pour mettre plus l’accent sur l’histoire que ceux-ci suggèrent, sur leurs auteurs et sur leur intrication dans l’à present.

Enfin , c’est la voix de Grayson Perry, parfois drôle, parfois tendre, parfois encline a l’introspection qui nous guide tout au long de l’exposition. De ce vase créé spécialement pour l’exposition qui sert de borne d’entrée humoristique questionnant les motivations des visiteurs jusqu’à la disposition des cartels autour de chaque objet, en plusieurs exemplaires pour leur tourner autour avec un confort de lecture maximum. Si Grayson Perry veut parler, il parle. Si il estime que DH Lawrence ou tout autre artiste est plus a même de le faire pour lui, soit. Sans jamais voler la vedette aux objets, ce n’est pas a l’art, au musée, au passé, ou a on ne sait quelle hyperbole, qu’il s’adresse, mais bien au visiteur.

Avec « The Tomb of thé Unknwon Craftsman » Le British Museum se donne la chance et l’ambition de générer un discours extraordinairement riche et moderne, construit à trois voix, celle du musée, de l’artiste, et la nôtre. Jamais cette exposition ne sombre dans aucun des pièges dans lesquels elle aurait pu tomber tant le propos est tenu sur un fil, fragile et pourtant si cohérent.

On reconnait un grand musée a sa capacité à se régénérer, entre autres. Eh bien, voila.

English version

From 6 October 2011 to 19 February 2012, one of the most revered institutions in the world gives carte blanche to a most unusual Turner Prize winner, who has spent the last 2 years scouring the museum’s archives for archaeological artefacts and pieces to realise his latest artistic venture. If you haven’t already, this is definitely the moment to invest in a ticket to London.

 

For better or for worse, the number of exhibitions on the theme of « contemporary artist meets age-old institution » has exploded in the last few years, sparking debates that have increasingly become nothing short of charged. Some have accused these exhibitions of being little more than opportunistic sellout, devoid of real artistic merit and desecrating cultural heritage generally. Of course, these kinds of exhibitions are not without their ardent supporters.

Although “The Tomb of the Unknown Craftsman” is undoubtedly the perfect subject matter for renewing this debate, I would rather put this question on the back burner and avoid getting too caught up in controversy.
Nevertheless, it is worth pointing out that it was the “contemporary artist” in question, Grayson Perry, who approached the British Museum in 2008, with a fully realised proposal based on several more or less trials in the same vein.

As a small boy, growing up in a somewhat dysfunctional household, Perry visited the museum with his mother and sisters on a day trip to London. He remembers heading eagerly to the Ancient Egyptian section, in the hope of finding the model boats he had heard about from one of the security guards . Back again some fifty years later and working closely with British Museum staff, he has been “intuitively” handpicking a series of objects from the museum’s own collections to bring a whole new dimension to his own work.

This is a two man show. In one corner we have The British Museum, a treasure trove of more than 8,000,000 objects from across the globe, boasting a goldmine of relics encapsulating society, art, culture in one great melting pot of world history.

In the other corner is Grayson Perry, recipient of the 2003 Turner Prize and defiler of traditional forms, with a penchant for ceramics and tapestries, through which he explores everything from politics to sexuality, religion, the internet and beyond. Equally recognisable as his blond-wigged, pink dress-donning female alter ego Claire, he is the owner – or should I say do they mutually own each other? – of one Alan Measles, his 50-year-old teddy bear, a symbol of the virility and infinite wisdom that Perry knows he lacks.

The two sides meet half-way to create an absolutely extraordinary exhibition, the final product being neither scientific curation, nor a no-holds-barred ego trip. Instead, we follow the personal journey of the artist, brought to life through the playful matching of the nameless objects chosen from the entrails of British history and Perry’s decidedly unique voice, which lights the way throughout.

Through the many personal artefacts of Grayson Perry, his worldly travel companion Alan Measles and the social and aesthetic matters that are particularly close to his heart, the exhibition plunges us into a world of war, magic, gender, deception and the ongoing search for truth. As the journey takes its natural course, we conclude by tackling the subject of death, the exhibition never feeling like a journey based on anthropology or ethnology or a thinly veiled retrospective.

The crowning glory of « The Tomb of the Unknown Craftsman » is undoubtedly its ingenious narrative thread and direction, which prove to be the key to harmoniously linking the museum’s pieces to their otherwise seemingly incompatible contemporary counterparts. At first glance, the layout of the pieces might seem the sort of standard fare that one would expect from a typical British Museum gallery with, for example, a display of neatly lined up medallions and artefacts in glass cases. On closer inspection however, we learn that these are motorcycle stickers thrown in with ancient coins and a seemingly ancient-looking helmet made in 1981. Labels, far from drowning us in information on dates, materials or uses, are deliberately stripped down, leaving us to contemplate on the object’s origins, owners and history. Ultimately it is Grayson Perry’s own voice, at times witty, at other times bordering on tender and reflective, that guides us through the exhibition.
From a made-for-purpose vase that doubles as a cheeky ticket barrier to the placing of labels on all sides of corresponding objects to allow for ease of reading, Grayson Perry’s personal touches are to be found everywhere. If Grayson Perry has something to say, it is said. If he thinks that DH Lawrence or any other artist can say it any better, then so be it, they will say it for him. Without ever stealing the limelight away from the objects themselves, Grayson Perry’s priority is not to exhibit the art, the museum or the past but to speak to the visitor.

With « The Tomb of the Unknown Craftsman » The British Museum has dared to set the bar high for itself, ultimately producing a piece of work that is extraordinarily rich and modern, tying in the artist’s voice together with that of the museum and indeed, ourselves. At no point does the exhibition fall victim to any of the potential traps that could easily befall an exhibition whose subtle and sometimes puzzling subject matter seems to be almost hanging by a thread.

The status of a world-class museum is measured, among other things, by its ability to re-invent itself. So there you have it.

Informations pratiques

Tarifs : £10 plein tarif, £8 pour les étudiants, gratuit pour les moins de 16 ans

Horaires : Tous les jours de 10h à 17h30, jusqu’à 20h30 le vendredi

Lieu : British Museum, Great Russell Street, Londres. Métro Russell Square, Holborn. 

Claire Solery

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