Phares, au musée de la Marine

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Du 7 mars au 4 novembre 2012, le musée de la Marine propose une exposition sur les phares, des monuments de notre patrimoine qui, s’ils sont imposants et se voient de loin, sont pourtant méconnus. Une des plus belles démonstrations d’unité dans une exposition, un coup de maître.

Vue de l’exposition, Ballet des optiques © musée national de la Marine/S. Dondain

Les phares nous accueillent avec une première scène d’une grande beauté, le ballet des optiques : lumière et chorégraphie mécanique, le clin d’oeil aux ballets contemporains de Danser sa vie est bien là !
Après cette mise en bouche, l’exposition nous emmène en France vers le premier phare de nos côtes, celui de Cordouan, construit en 1611, et nous montre les premières techniques de conception des réflecteurs qui étaient employées sur les phares français jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. On est ensuite invités à traverser la Manche (physiquement !) pour découvrir l’histoire et le savoir-faire qui s’y trouve en matière de phares : leur marine étant internationalement réputée, il était normal qu’il en soit de même pour leurs phares. C’est la famille des Stevenson, ingénieurs spécialisés dans les phares durant plusieurs générations (jusqu’à Robert Louis, qui rompt la chaîne pour devenir écrivain), qui est alors dépositaire de l’expertise dans une Ecosse où l’organisation mi-publique, mi-privée du marché du phare le rend bien plus florissant que le nôtre.

Mais la France va bien vite rattraper son retard par une innovation technologique en rupture, de celles que l’on fait quand on est tellement en retard que l’on est obligés de faire preuve de génie, de penser à côté. J’aime bien l’expression anglaise, think out of the box. Cette innovation, c’est l’invention par Fresnel d’optiques pour remplacer les réflecteurs, des optiques utilisant des lentilles à échelons qui redressent les rayons lumineux. C’est une révolution : plus besoin d’une source de lumière par réflecteur, une seule source centrale suffit. Mieux encore, les rayons lumineux portent beaucoup plus loin : un phare de premier ordre est visible à 60 kilomètres !

Mais toi qui es scientifique, dis-nous comment ça marche !

D’accord, mais je ne vais rien faire de mieux que vous commenter quelques images venant d’un document intitulé « Les lentilles à échelons de Fresnel » écrit par un chercheur qui n’est autre que … Vincent Guigueno, le commissaire de l’expo Phares ! Un commissaire passionné et passionnant qui est aussi 2.0 : vous pouvez le retrouver sur Twitter sous le nom de @GardienPhare.

Avant Fresnel, on emploie comme je le disais des réflecteurs, qui sont des miroirs paraboliques au centre desquels on place une source de lumière. Vous connaissez le principe mais généralement vous l’utilisez dans l’autre sens, avec la parabole qui vous permet de recevoir les chaînes du satellite : vous recevez des ondes qui viennent de très loin, et la forme de la parabole a la propriété bien agréable de les concentrer sur le récepteur. Avec la lumière, on fait l’inverse pour envoyer le plus loin possible un faisceau lumineux.

Inconvénient : il faut une lampe (par exemple à huile) dans chaque réflecteur ! Arrive donc dans le milieu des marins un petit jeune, notre Augustin Fresnel, qui s’est déjà fait remarquer en contestant la théorie corpusculaire de la lumière de Newton, et qui veut amener dans les phares des techniques d’optique qui pour l’instant ne sont pas connues hors de quelques expériences scientifiques.

L’idée géniale est la suivante. Là encore, il s’agissait de penser à l’envers : on utilisait des lentilles pour concentrer la lumière et faire chauffer un point (vous l’avez tous fait avec une loupe), donc dans l’autre sens, on pouvait partir d’un point lumineux pour en faire un faisceau bien droit :

Inconvénient : d’abord, imaginez la taille et le poids de l’engin. On est autour de 1820, Saint Gobain est déjà très bon pour faire des vitrages et des miroirs de grande taille, mais ce n’est pas très réaliste. Et surtout, plus le faisceau doit être large, plus la lentille doit être épaisse, et donc plus le trajet de la lumière à l’intérieur est long. Ce qui ne nous plaît pas du tout : plus la lumière fait un long trajet, plus elle perd de puissance lumineuse. D’où l’idée de Fresnel : la seule chose qui nous sert dans cette énorme lentille, ce sont ces deux surfaces qui modifient l’angle d’attaque de la lumière. Le reste, on l’enlève :

(C’était la parenthèse physico-géométrique, nous pouvons reprendre la critique d’exposition et reparler du reste du phare :)

Phare de la Hague © Marine Nationale

L’exposition raconte bien plus que cette histoire que je viens de rapporter dans les grandes lignes, et le fait en apportant, comme Fresnel, de bien agréables innovations. Le parcours de l’exposition d’abord rompt avec l’habituel double couloir de l’espace d’exposition du sous-sol du musée de la Marine. Les dispositifs interactifs ne sont pas des anachroniques NTIC, et on s’en réjouit : elles nous auraient rappelé ces ignobles boîtiers GPS qui ont petit à petit remplacé nos phares. Non, ici on manipule des leviers qui commandent à la lumière, n’est-ce pas bien plus adapté ? Dans le même ordre d’idées, la typographie retenue pour les noms des salles est celle, pensée pour une lisibilité optimale en toutes conditions climatiques, des parois des phares.

Et ce qui transparaît encore plus dans cette exposition, c’est une volonté, très clairement aboutie, de nous rendre les phares vivants. Et ceux qui me connaissent savent à quel point je suis persuadé que c’est l’exercice le plus difficile à réaliser, qu’il produit les expositions les plus agréable à visiter, et la médiation la plus efficace qui soit. J’ai particulièrement apprécié le parti pris de ne pas cloisonner les techniques artistiques et leurs époques de production. Ainsi, des bandes dessinées en noir et blanc se mélangent harmonieusement avec les gravures anciennes. Une bande sonore accompagne la reconstitution de la chambre de veille d’un gardien de phare.

La construction des phares, la dure vie des gardiens dans les purgatoires et enfers, la dangereuse relève, la lueur des phares dans la création littéraire et artistique sont certains des nombreux thèmes que vous découvrirez dans l’exposition… jusqu’à la triste annonce de leur disparition pour laisser place à l’électronique. Je recommande vivement l’exposition à tous, que vous ayez le pied marin ou non. Oubliez vos a priori sur les musées si vous en avez, et allez prendre votre quart dans les phares du musée de la Marine. C’est un de mes meilleurs moments en expo depuis que j’en visite.

Et à l’occasion de l’expo Phares, participez à Phares@Monde, la grande collecte photo sur Flickr du Musée de la Marine !

Phares
Du 7 mars au 4 novembre 2012
Musée national de la Marine
17 place du Trocadéro 75116 Paris
Du lundi au vendredi : 11h-18h
Samedi et dimanche : 11h-19h
Fermeture des caisses 45 minutes avant
Fermé le mardi et le 1er mai
Plein tarif exposition : 9 €

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8 commentaires

  1. 16 mars 2012
    Répondre

    C’est bête du coup, quand on était à Paris en février l’expo n’était pas lancée.
    J’espère qu’ils auront plein de visiteurs en tout cas, c’est un musée qui le mérite !

Répondre à Lousia

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