Penser l’image, ouvrage collectif dirigé par Emmanuel Alloa

Ce jeudi 6 janvier 2011 avait lieu au Jeu de Paume une rencontre avec Emmanuel Alloa, chercheur en philosophie à l’Université de Bâle et enseignant en esthétique à l’Université Paris 8, autour de l’ouvrage collectif Penser l’image, qu’il a dirigé aux éditions Les presses du réel. Je vais essayer de retranscrire ici les principaux éléments des échanges de la soirée.

Présentation de l’éditeur :

Qu’est-ce qu’une image ? La multiplication proliférante des images semble bien – et c’est là son paradoxe – inversement proportionnelle à notre faculté de dire ce qu’est réellement une image. Si notre interaction quotidienne avec les écrans a fait disparaître certaines peurs archaïques quant au pouvoir perturbateur des images, cette normalisation des rapports fait elle-même écran à une confrontation réelle avec l’efficace des images.
Prenant acte du fait que l’image n’est pas structurée comme un langage, cet ouvrage se fait le témoin des débats actuels autour des logiques imaginales, notamment les Bildwissenschaften allemandes ainsi que les visual studies aux Etats-Unis. Que ce soit à partir d’une perspective contemporaine ou encore depuis une position délibérément anachronique, les différents essais forment ensemble un arsenal conceptuel permettant d’affronter de façon nouvelle la question de l’image et de son efficace.

Pour l’essentiel, les discussions ont porté sur deux distinctions, que l’on pourrait être tentés de rapprocher, entre régime de la transparence et régime de l’opacité d’une part, et entre fétiches et idoles d’autre part. La question du sens de l’image, de sa sous- ou sur-détermination a ensuite été abordée, suivie de celle de la signifiance ou de l’insignifiance des éléments picturaux, et de la possibilité d’un langage pictural. Je n’aborde pas ici la discussion qui devenait rapidement passionnée sur la valeur de l’image numérique vis-à-vis de l’image analogique/argentique, qui pointe plutôt un procédé qu’un dessein.

Image transparente, image opaque

Dans le régime de la transparence, l’image est liée à un logos qui la précède, la provoque, à un texte qui est son pré-texte. Ce régime est celui de la méthode iconologique d’Erwin Panofsky et d’une partie des études en histoire de l’art. A l’opposé, dans le régime de l’opacité, l’image est seule et complète en elle-même, elle ne renvoie à aucune théorie qui lui serait sous-jacente ou pré-existante. C’est l’art pour l’art, c’est l’avant-garde artistique du XXe siècle.

Le fétiche, l’idole, et leurs publics

La distinction entre fétiche et idole reprend des caractères de la précédente. Le fétiche est subordonné à une production du sens, il est une métonymie : par défaut d’accès à la totalité, on se concentre sur un détail qui en est le signe. L’idole, elle, est une présence pleine de la divinité, la divinité incarnée, immanente, non un signe ou une partie. Si on appelle fétichiste l’adorateur du fétiche, le concept d’idolâtre est une construction du fétichiste pour désigner péjorativement le païen. Il lui nie la possibilité de l’accès à une divinité immanente, moque sa croyance d’être en possession d’un tout quand lui, le fétichiste, n’a accès qu’à un signe, un simulacre. C’est l’universaliste considérant avec condescendance le naturaliste. Dans le cas de l’idole, le régime de signes est sans objet et donc absent : il est impossible d’ajouter quelque chose, d’ajouter du sens lorsque tout est là, et il est donc impossible d’instaurer un système de pouvoir

Le sens, porté par l’image ou projeté par le spectateur ?

La question du sens de l’image pose celle de son origine, de son mouvement, de sa détermination. L’image ne porte-t-elle aucun sens en propre ? Elle est alors indéterminée et n’a que le sens que le spectateur lui donne, et elle pourrait alors tout aussi bien être blanche. Tout le sens de l’image est-il en elle ? Elle est alors complètement déterminée et son sens ne peut pas être modifié ou détourné. N’est-elle pas plutôt entre ces deux extrêmes, ni vraiment déterminée ni vraiment indéterminée, ouvrant une voie perceptive mais laissant toute liberté dans la manière de l’emprunter ou de ne pas l’emprunter ?

La question de la détermination de l’oeuvre dans son ensemble appelle celle de la signifiance des éléments picturaux. Que peut-on retirer à une oeuvre sans toucher à son sens ? Dans le cas d’un texte, le blanc n’est pas signifiant, il est neutre, il sert à mettre en forme. Dans le cas d’une oeuvre picturale ou plastique, on ne peut pas dire si un élément est ou non signifiant.

L’impossibilité d’un langage pictural ?

Dans ces deux dernières questions, la différence texte/image est-elle explicable par le caractère discret, dénombrable du texte opposé au caractère continu de l’image ? Ou fait-on cette différence seulement parce que notre pensée est basée sur le langage ? La synesthésie mot/couleur est-elle une voie vers un alphabet de l’image ? L’échec des tentatives historiques de définir un langage pictural est-il dépassable ?

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6 commentaires

  1. Clint
    12 janvier 2011
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    « L’échec des tentatives historiques de définir un langage pictural est-il dépassable ? »
    –> je ne comprends pas : Les hieroglyphes egyptiens ne sont-ils pas un langage pictural justement ?? (en opposition à nos langages actuels abstraits).
    Cette écriture à base de dessins a quand même perduré 3000 ans……

  2. 12 janvier 2011
    Répondre

    Je ne me suis pas exprimé assez précisément. Les hiéroglyphes sont un « alphabet » figuratif qui reste dénombrable, et qui reste utilisé en plaçant des signes séparés, les uns après les autres, sur une ou plusieurs lignes.

    Les tentatives de définir un langage pictural s’adressaient aux oeuvres, prioritairement au peinture, avec quelque part le souhait de trouver une grille d’analyse universelle et déterministe des réalisations graphiques.

  3. 13 janvier 2011
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    Je me suis aussi posé cette question de ce qu’est un langage pictural universel. Il me semble qu’un langage pictural est soit universel (tout le monde comprend que l’oiseau à trois pattes dans le coin en haut à gauche représente la mort par noyade), soit au contraire isole chacun d’entre nous dans un code de représentation et de lecture unique qui nous est donc propre. Des tas de choses seraient alors communes à deux grilles de lecture de deux êtres distincts, mais comment savoir lesquelles ?
    De la même façon qu’en communiquant avec des mots on ne comprend jamais réellement la même chose que ce qu’a voulu signifier l’émetteur (contexte induit par le vécu de l’émetteur et par celui du récepteur), on ne peut arriver à communiquer une idée précise et complète par un dessin. D’ailleurs, si le mot possède malgré tout un sens global échangeable (« corbeau » ne désignera jamais une chaussette verte), le dessin ne possède pas à mon sens cette limite. Peindre un corbeau peut vouloir dire des tas de choses, et pourquoi pas que j’ai mis mes chaussettes vertes ce matin pour venir voir l’exposition des peintures de corbeaux.
    Et l’autre point qui me travaille est cette histoire de retirer quelque chose à une œuvre sans en changer le sens. Je pose la question : peut-on vraiment retirer le blanc d’un texte ?
    Il faut nécessairement quelque chose pour séparer les lettres, les mots, les phrases. Si ce n’est pas du blanc, ce sera autre chose : du jaune, du vert, un tableau de Gauguin…
    Et cela aura du sens. Dans le cas du tableau de Gauguin, c’est assez évident, mais ce papier jaunâtre et non pas blanc sur lequel est imprimé le texte n’est pas sans me rappeler la vieille édition dans laquelle j’ai lu des Jules Verne, et hop, glissement de sens.
    Bref, j’ai le doute métaphysique.

  4. Clint
    13 janvier 2011
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    Pour moi, un langage ne peut exister que par une succession logique d’éléments :
    – Succession de mots/lettres pour nous, pauvres humains,
    – Succession d’instructions et de 0/1 pour les ordinateurs,
    – Succession d’images pour les rébus,
    – ou encore successions de flash lumineux dans le cas du langage morse
    – et même succession de mouvements du corps comme langage sexuel lors de parades nuptiales (faut avoir le bon rythme pour séduire les nanas en boite de nuit)
    Donc sans caractères « discrets », pas de communication possible.

  5. 14 janvier 2011
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    Tout à fait d’accord, Clint, le langage est une succession, et une image, aussi complexe qu’elle soit, reste figée, sans ordre. C’est sans doute ces deux points qui manquaient à ma critique précédente : la succession et l’ordre. Merci Clint.

  6. Clint
    17 janvier 2011
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    Tout n’est peut être pas si simple : en effet, si on se réfère aux peintures de Lascaux comme l’illustration de l’article, il a été prouvé que celles-ci sont représentatives d’un véritable langage chamanique. Ces peintures ne sont pas une simple juxtaposition d’animaux.
    Pour la petite histoire, il s’avère que ces artistes préhistoriques étaient capables de suggérer le mouvement dans leurs peintures.

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